mercredi 31 décembre 2008

"Quand on aime la vie, on ne lit pas."

Ce n'est pas une biographie mais un essai où l'on essaye d'aller au fond des choses, de tirer le portrait et le bilan d'un homme qui a écrit. Mais en lisant ce livre on se rend très vite compte qu'il est d'abord un portrait en creux de l'oeuvre de Michel : tout les partis pris de Lovecraft sont l'exact inverse des partis pris de Michel Houellebecq.
Il y a cet homme qui a pour discipline de n'écrire que par pur dilettantisme là où l'autre se rend compte qu'il gagne suffisamment avec ses livres pour ne plus travailler. (Ennemis Publics) D'un côté, un homme qui refuse de s'abaisser à parler d'argent et de sexe dans ses livres et qui préfère ne voir en l'homme qu'une usine à sensations. De l'autre, sexe et argent, thèmes essentiels dans l'oeuvre houellebecquienne, l'idée de libéralisme sexuel constituant le fil rouge de toute son oeuvre.
Houellebecq doit à Lovecraft l'insertion de descriptions scientifiques au sein du roman pour expliquer sentiments et comportements, ce qui a pour effet de réduire l'homme à ce qu'il a de plus animal en lui ou pire encore, à un ensemble de particules élémentaires. Il y a dans ce bref essai l'extrait d'une lettre envoyée à la seule compagne que Lovecraft a eu, elle peut faire penser au commentaire qu'aurait pu faire une voix-off par-dessus les images d'un accouplement humain. Houellebecq aime bien user de cette écriture documentaire pour parler de l'homme, il sait alors qu'il fait mal et que devant la véracité de ses propos rien ne pourra lui être objecté. Dans cette lettre on retrouve aussi le thème cher à Michel de la lente dégradation des corps, Lovecraft de toute façon a choisit de voir le corps comme un simple lieu traversé de sensations provoquées par des situations qu'il prend plaisir à décrire pendant que Houellebecq voit en sa dégradation l'origine de tout les malheurs humains,
"il ne reste plus que la maladie, la vieillesse et l'attente de la mort". Ce sera fascination morbide contre omission volontaire. Dans le roman houellebecquien l'état du corps influe directement sur la nature des sentiments. La jeunesse est le seul moment du bonheur, la vieillesse est le moment d'une souffrance sans nom et sans répit. Ce qui donne lieu à la contemplation fascinée de la décrépitude des corps qui va de pair avec un dégoût amer à l'égard d'une société aux codes dictées par le jeunisme, ce qui prive définitivement ses personnages vieillissants de tout accès à l'amour et au bonheur. Le roman houellebecquien sera l'occasion d'une parenthèse d'espérance, l'illusion d'un secours divin pour ses personnages, jusqu'au retour à un désespoir encore plus lourd qu'au début.
"Jeunesse, beauté, force; les critères de l'amour physique sont exactement les mêmes que ceux du nazisme."
On comprend que Lovecraft choisit le fantastique pour mieux refuser le réalisme, l'estimant sans intérêt, primaire et méprisable. Le fantastique comme un refus, ou comme un refuge.

vendredi 19 décembre 2008

Lacrimosa au Théâtre du Rond-Point,
Tentative d'épuisement du sujet Charlotte


La scène est bleu, des néons par terre, quatre cinq chaises, peu de gens dans le public, une cinquantaine de personnes? La pièce commence à 19h01, à 19h01 la fille vient nous dire d'éteindre nos portables, deux secondes après noir total et Régis Jauffret qui entre par le fond. Chemise bleu, costume noir, il s'est coupé les cheveux depuis la dernière émission de Taddéi, j'attendais qu'il le fasse, ça faisait beaucoup trop ringard, quelque part ça me rassurait, on craint toujours la laideur, même d'une coupe. Je ne pense pas le trouver beau, ou alors je me force. Son visage est vide, il a les cheveux et le look de mon ancien prof d'histoire géo. Il commence tout de suite, comme les films dans les petites salles, tu parles à ton voisin et d'un seul coup tu dois te taire et te mettre en condition. Son jeu est guindé et il tente le naturel par dessus le guindé, catastrophe, mais plus ça avance et mieux ça se passe. L'histoire : son ex, Charlotte, s'est suicidée en 2007, c'est un dialogue : il parle d'elle, elle lui répond.
la rencontre au Salon du Livre, elle lui parle de Univers, Univers "à force de le relire j'ai le sentiment de l'avoir écrit", j'ai pensé "je savais qu'on pouvait trouver l'amour au Salon du Livre", ça me semble être une évidence, j'y ai toujours cherché quelqu'un là-bas, on se sent pris dans un village, on croise des écrivains connus marchant sur la moquette rouge, on sait que c'est naturel, que pendant 4 jours c'est normal.
3 mois de mails avec Charlotte
15 jours où ils s'appelaient chaque soir
le restaurant, "tu as commandé un fondant au chocolat"
chez lui "les voisins du dessus avaient finit de faire l'amour au moment où nous commencions"
les matins heureux
"tu m'empruntais une paire de chaussettes à motifs jacquard et une chemise trop grande pour tes épaules dont tu pliais les manches jusqu'aux coudes, tu disais "comme ça je te porterai toute la journée". "tu étais pressée et tu partais en rigolant"
le voyage à Djerba, "on est parti se baigner en gardant un oeil sur les valises"
Faire parler Charlotte c'est se protéger des critiques probables, elle est la conscience qu'à Jauffret de recycler quelque chose de profondément personnel et douloureux à des fins littéraires, ce n'est même pas son histoire, "c'est dégueulasse", il le sait, il le dit, il devient invincible. Il tient entre ses mains un petit cahier avec une couverture cartonnée, c'est sa deuxième mémoire et on lui pardonne : il n'est pas comédien et personne d'autres que lui ne pouvait jouer ça. Quelques phrases sont soulignées au Stabilo rose, ça on le voit bien, d'où on est on peut tout voir, c'est comme si on était à 2cm de lui. Parfois il se penche pour saisir un verre d'eau et on se demande comment il fait pour boire puisqu'il ne penche pas le verre et qu'il l'enlève tout de suite après l'avoir touché de ses lèvres, ensuite il prend son pouce et son index et essuie ses lèvres, légèrement tendues vers l'avant, comme pour un baiser, pour les éloigner du reste du visage. Il boit une dizaine de fois, il ne se sèche pas systématiquement les lèvres, j'ai l'impression qu'il a trop conscience de boire et qu'il ne sait plus boire. Parfois il dévisage le public et il me regarde sans le savoir, pendant quelques secondes, il a les yeux bleus cheap, j'essaye de le sourire, peut-être que mes dents brillent dans l'obscurité et qu'il comprend.
Dans un monologue, la dernière phrase est importante : elle doit être poignante, tout résumer, c'est celle qu'on emportera avec nous, la dernière phrase c'est Charlotte qui la prononce: "je suis fière de toi" et tout s'éteint. Jauffret doit en avoir la chair de poule de cette phrase et de ce noir, peut-être qu'à force cette histoire larmoyante le lasse, qu'il en a trop dit, qu'il l'a trop joué, qu'il déteste Charlotte, qu'il s'en lasse comme il aurait pu s'en lasser si elle avait encore été vivante, alors ça marche et il ne la regrette plus, "ce livre c'est une thérapie" il aurait pu dire. Il ne la regrette plus à part peut-être au moment de cette ultime phrase où il sent vraiment qu'il n'a pas été le seul à l'écrire ce livre, il fait quelque chose de son suicide, elle fait quelque chose de son talent. "Je suis fière de toi" à 20h02 et deux rappels où Jauffret semble de plus en plus gêné, il ne sait pas quoi faire de son visage et de ses mains, aussi guindé dans le jeu que dans l'émotion spontanée de l'écrivain qui redevient l'écrivain, le salut est le moment du retour au réel, des gratifications. Je suis sortie, j'ai pris le chemin qui passe derrière la scène, j'avais pour idée d'y croiser Jauffret, de lui parler et d'aller au restaurant avec lui, commander un fondant au chocolat.

Lacrimosa au Théâtre du Rond-Point, écrit, lu et interprété par Régis Jauffret, du 5 au 30 décembre, 19h00.

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