samedi 6 février 2010

Serpico - Sidney Lumet (1973)



C'est juste jusque dans les moindres détails, c'est d'une cohérence et d'une précision admirable, les sentiments éprouvés s'enchaînent merveilleusement, tout en fluidité, il n'y a pas d'angle mort, tout est là, la vie d'un homme qui se ramifie par-ci par-là en plusieurs domaines, problèmes, en plusieurs histoires qui ensuite se rejoignent pour s'épanouir dans un final.
C'est un homme aux intentions pures et profondément simples et morales et qui novice dans son métier de policier pense que celui-ci est tout aussi simple et qu'il fonctionne à coup de volonté et de responsabilité, il néglige l'imprévisibilité du vice. Il se confronte alors à une réalité pas nécessairement toute noire mais complexe, où chacun doit ruser, user de détours autant pour faire le bien que pour faire le mal et où celui-ci devient la norme officieuse tellement il est répandu. C'est l'histoire d'une sorte de premier de la classe que tout le monde déteste et soupçonne jusqu'au professeur parce qu'il n'est simplement plus possible de faire son devoir sans arrière-pensées.
Dans un entêtement surhumain Serpico tente donc de faire son devoir sans jamais se préoccuper des préjudices qu'il causera à ses collègues. Il ne s'agit pas d'une morale à la carte mais de la rudesse d'un devoir à accomplir malgré les conséquences et qui se fera, non pas dans un sentiment humble d'avoir rectifier une anomalie dans le meilleur des mondes mais dans celui d'un dégoût profond et haineux pour toute une profession, et qui va en s'amplifiant.

Je retrouve un peu ce pour quoi j'aime tant les premières décennies de la filmographie de Dustin Hoffmann (oui ici c'est Al Pacino), ce qui fait qu'on a l'impression qu'il va d'un rôle à un autre en étant jamais le personnage mais toujours humblement lui-même et toujours magnifiquement juste dans ses actes sans jamais tomber dans la mièvrerie d'une bonté qui se répète. Voilà ce qu'est un grand acteur dans un bon film : un film où l'on n'arrive pas à dissocier le personnage de l'acteur, où ces deux-là sont tragiquement associés, entremêlés tout en étant on ne sait comment autonomes et réels, comme jouant l'un à côté de l'autre. Un film où le spectateur prête à l'acteur les qualités du héros (il ne peut que les avoir puisqu'il les joue si bien).

A la recherche de Garbo - Sidney Lumet (1984)


Il y a d'abord l'idée qu'un film a priori gnan-gnan peut être redramatisé et rééquilibré par l'intrusion d'un fait éminemment tragique : une maladie incurable, une femme mourante. On sait comment une maladie accélère sinon introduit l'action au sein de la vie d'un personnage, ici c'est tout le contraire. La première partie en bonne santé est un petit bonbon de légèreté où du temps est pris pour façonner ce personnage qu'il nous faut aimer : femme seule qui a pour principe de vie un activisme venant se greffer un peu bêtement sur toutes les causes perdues. Par la simple annonce de sa maladie elle se retrouve du jour au lendemain dans un lit d'hôpital, mollement secouée par l'annonce de sa mort, estimant avec intelligence qu'elle pensait que cela arriverait à tout le monde sauf à elle, et avec pour dernier caprice ridicule celui de rencontrer Greta Garbo dont on présume qu'elle est fan puisqu'elle pleurait devant un de ses films en scène d'ouverture.

La suite du film est monopolisée par le fils, physiquement et moralement insipide, la femme mourante est totalement mise de côté au profit d'un enchaînement d'éléments tous plus bâclés les uns que les autres. On apprend par quelques séquences déprimantes qu'elle perd peu à peu l'usage de ses sens et que depuis son lit elle essaye de mobiliser les infirmières de l'hôpital pour faire grève, l'ensemble est mis en scène d'une telle façon qu'on ne retient que la frustration due au constat qu'on ne fait rien d'intéressant de l'activisme de départ sur lequel s'appuyait le portrait.
Par une transmission de pouvoir passant de la mère au fils, celui-ci, initialement pris dans la torpeur d'une vie trop organisée, arrête de travailler, néglige sa femme et se démène pour trouver Garbo. Ne pouvant résister aux charmes de sa collègue de travail faussement excentrique mais réellement agaçante, il la prend pour maîtresse, relation qui prend tout son sens au moment de pénétrer l'académie des acteurs dont elle est membre et ainsi chopper l'adresse d'une amie de Garbo. Quant à la fin, elle est d'une nullité quasi-culte que je me fais un devoir de ne pas la spoiler.

Network - Sidney Lumet (1976)

Ca foisonne de partout, c'est traversé d'idées bien claires, d'idées dures, de cet esprit fougueux de contestation. Ce qui a un peu vieillit c'est la critique de la télévision, parce que maintenant le Gros Truc ce serait plutôt internet et que la télé n'a pas du tout le même rôle en France qu'aux Etats-Unis, ça on le sait. Mais le propos est assez général pour pouvoir s'appliquer à autre chose qu'à la télévision, il s'agit surtout de montrer comment l'humanité tend lentement à ne plus être qu'une somme d'humanoïdes vampirisés par l'idée de productivité. Ici on exagère, on maximise une situation pour en faire dégager plus pleinement le sens et les conséquences: si la télé est comme ça aujourd'hui et bien demain elle sera ainsi. C'est une fiction qui prend pour tremplin le réel et qui pour cela même s'estime plausible jusque dans ses exagérations, sauf qu'on frôle parfois le point Godwin et cette espèce d'immaturité qui consiste à voir dans le moindre mal un signe avant-coureur d'apocalypse.

jeudi 4 février 2010

Ne change rien - Pedro Costa

Je ne pense pas que l'ennui soit un bon critère pour juger d'un film, l'ennui c'est d'abord l'impatience du spectateur, celui qui ne devrait pas être là ou qui ne veut plus y être, l'opacité de son regard qu'il prend pour l'opacité de l'oeuvre. Il faudrait se mettre d'accord sur une typologie de l'ennui, distinguer celle qui provient de l'exigence de l'oeuvre face à notre manque enfantin de concentration, et puis l'ennui comme, malgré l'indulgence et l'effort de compréhension, absence totale de sensations et d'intérêt pour une oeuvre, bref, il est toujours question de chercher à connaître de quel côté de la salle se situe le problème.

Le documentaire de Pedro Costa est d'un noir et blanc charbonneux et de cet ennui sec qui aiguise notre attention. Quelque chose se passe donc à l'usure, une poésie que le spectateur se sent obligé d'extirper de l'image faute d'être pris par la main. Il prend son plaisir dans le dénuement et l'abandon le plus total, un bout de visage fatigué qu'on daigne lui montrer, un peu de fumée de cigarette, une mélodie qui se répète à l'infini et qui d'abord étrangère se fait familière, lancinante, obsédante; il devient alors autonome dans sa prise de plaisir. Il voit aussi avec quelle dureté des personnes tentent d'extraire du néant une chanson, comment ils se font magiquement un devoir d'y parvenir, comment il créer la nécessité de la création avant de créer celle-ci, et comment le matériel autour et la concentration de chacun travaillent à cette volonté d'être pris au sérieux; ces histoires de création sont des histoires d'adultes. Ca cahote, c'est harassant, c'est une pente à monter et qui fait place au plaisir fluide d'une chanson pop parfaite interprétée en live. C'est comme ci le processus créatif n'avait jamais consisté en la création d'une chose incertaine, peu sûre de ses effets et qui devrait faire ses preuves, pour l'artiste il s'agit plutôt d'une archéologie méticuleuse, obstinée, d'une oeuvre déjà là, d'un résultat présent à l'esprit et qu'il n'y aurait plus qu'à restituer par la fouille, la rigueur, le travail, dans le monde sensible. On ne créer pas on ne fait que retrouver, et c'est dans ce service rendu par l'artiste que se fonde leur modestie fondamentale, avant toute forme de prétention qu'ils y ajouteraient.

mardi 2 février 2010

Mother - Bong Joon-Ho


Il y a d'abord l'idée qu'une femme qui devient mère n'est plus jamais que ça, celle-ci n'est d'ailleurs jamais vu sous aucun autre angle que sous celui de la mère de. même pour les policiers, et c'est ce statut qui détermine toutes ses actions. Il y a une sorte de virilité un peu dangereuse qui se dégage de l'amour de cette mère pour son fils et à aucun moment, peut-être parce que nous en faisons quotidiennement l'expérience, nous ne doutons de sa force morale, de sa détermination, de son entêtement pour tout ce qui a trait à son fils.
Lui, c'est un incapable qui frôle l'autisme, rejeté par tous et intégré à aucune forme de jeu social, seul sa mère l'accepte tel qu'il est comme seule une mère sait le faire : sans conditions et à perpétuité; redoublant d'amour à chaque signe de faiblesse. C'est un lien indéfectible, peut-être le seul qu'il reste et le seul dont on ne redoute pas qu'il disparaisse. Après il faut en tester la résistance, c'est ce que le film tente de montrer.
Les obstacles s'enchaînent : l'injustice, la vérité, la justice, et c'est sa morale de conviction qui non sans efforts finit de l'emporter. Si ses règles du jeu sont admises c'est parce qu'il n'y en a pas d'autres et qu'elle est la seule à agir avec conviction et détermination au sein d'une société apathique, et qu'il est toujours possible d'appliquer ses règles lorsque tout le monde dort.

Dans un même mouvement elle conçoit sans détours et très lucidement qu'elle n'a que lui et qu'il n'a que elle, sans jamais essayer de savoir si son fils en est conscient, il éprouve à son égard un amour inconscient, l'amour routinier, devenue évidence et qui s'oublie en tant qu'amour, celui qui lie les membres d'une famille entre eux, et qui n'a plus besoin de preuve sinon celle d'accepter d'être choyé par la mère.
Ce qui surprend c'est ce moment où l'on devine qu'elle poursuit même à tort le vrai motif de ses actions; sortir son fils de là. C'est l'idée de la mère poussée dans ses retranchements : vous la disiez dévouée, et bien voyons jusqu'où peut bien aller son dévouement. Il n'y a à aucun moment un dilemme entre le choix de la justice (qui au début coïncide avec sa propre justice) et celui de sa justice, seulement un entêtement hystérique pour celle-ci.

Gainsbourg (vie héroïque) - Joann Sfar




Le biopic démantèle le mythe pour mieux le reconstruire, pour le justifier, il dit "derrière le mythe il y a un homme, mais quand même, pas n'importe lequel, voyez un peu", ici on ne sait pas, derrière le mythe il y a encore un mythe, un mur de fantasmes ridicules et puériles comme plus personne n'en imagine depuis longtemps. Le fantasme primaire, c'est aimer des nénés plutôt que des charismes, des attitudes plutôt que des intelligences, c'est tout simplement être con et évoluer dans une réalité appauvrie parce que notre imagination l'est tout autant.
Ici Joann Sfar en profite, il annonce d'emblée "un conte de Joann Sfar", il est indulgent avec lui-même, parle d'un conte pour ne pas s'autoriser le terme de "film" et ainsi faire ce qu'il veut, c'est-à-dire n'importe quoi, "ce n'est pas vraisemblable ? ce n'est pas la réalité ? mais c'est un conte vous n'avez pas lu ?". Oui donc, "un conte", non pas comme l'affirmation d'une créativité qui déborde mais celle d'une flemme qui s'avance masquée. Vraisemblablement ce qui est censé fonder le film en tant que conte serait l'usage aussi inutile que faussement audacieux d'une marionnette dégueulasse qui, en même temps qu'elle se doit de poétiser la vie de l'artiste, intellectualise l'ensemble en se proposant comme l'incarnation de la mauvaise conscience de l'homme et qui expliquerait de nombreux choix décisifs de sa vie.

On ne sent aucune maladresse, aucun raté : tout ce qui veut être montré est très bien montré et ça n'a absolument aucun intérêt. On prend les grands moments people de la vie d'un homme, on réactualise ça avec les people actuels, des jeunes gens beaux et talentueux, on donne précisément au spectateur ce qu'il demande et ce qu'il connaît déjà en proposant une biographie du point de vue des conquêtes: elles y passent toutes et on les attend les unes après les autres : la brune, la blonde, la fluette, l'asiatique. D'ailleurs on ne comprend pas très bien comment l'on passe d'une ressemblance et d'un mimétisme obsessionnels du personnage incarné (Casta/Bardot) à la simple négligence de toute espèce de ressemblance du personnage en question. C'est un va-et-vient entre cette perversité de la ressemblance façon Musée Grévin et les petits caprices de réal qui considère qu'Anna Mouglalis est très bien comme elle est, qu'à défaut de son physique, son charisme correspond à celui de Juliette Gréco, et que Philippe Katerine mon pote fera très bien le Boris Vian, de toute façon qui sait à quoi ce mec ressemblait ?
Le simili-respect tente de dissimuler comme il peut la morgue du réalisateur, son ego hypertrophié, on a jamais vu rien d'aussi pire que ce mépris s'avançant sous les traits d'une pseudo vénération qui croit avoir fait ses preuves : une BD et maintenant un film sur le zigue. Et s'il faut remercier quelqu'un, ce sera les costumières, coiffeuses et maquilleuses qui auront été à l'origine de nos seuls petits frissons de spectateur qui ne sait plus s'il est pris dans une fiction ou une performance et qui allant de l'un à l'autre ne sait jamais où il se trouve, n'est jamais happé mais toujours en dehors du film. Quêter la ressemblance physique et comportementale des personnalités incarnées à l'écran c'est toujours être pris dans une tension : on tente d'être fidèle à une réalité pour faire oublier que c'est un film, que ce sont des acteurs, on tente de coller du mieux possible à ce qui s'est réellement passé, et d'un autre côté plus la fidélité est respectée plus le spectateur, impressionné, n'arrive pas à l'oublier.
Et si à chaque femme correspond sa chanson (autre petite joie du film mais lui préexistant évidemment) à aucun moment il est question d'assister sobrement, insensiblement et étape par étape à la naissance d'un mythe national. Tout y est démonstratif, les jeux sont faits et le film n'est là que comme simple et obséquieuse reconstitution où l'acteur inclut dans son jeu une sorte de conscience rétrospective de l'importance de la personnalité incarnée et de la scène jouée. Ainsi, et comme tout mauvais biopic, il n'y a jamais la place pour l'innocence du moment présent, qui s'improvise et se révèle simultanément aux yeux du spectateur comme des personnages, tout y est parasité d'arrière-pensées, tout se fait dans la connaissance de ce qui va suivre. C'est un film hideux, méprisant et méprisable, et l'attitude gainsbourienne par excellence voudrait que l'on ne place aucun espoir de décryptage du mythe dans ce film puisque de ce point de vue on se contrefout totalement de Gainsbourg, et que si mythologie il y a, elle ne réside que -comme toujours- dans une seule et unique chose : l'oeuvre de l'homme.

Les Occupés sont