Le biopic démantèle le mythe pour mieux le reconstruire, pour le justifier, il dit "derrière le mythe il y a un homme, mais quand même, pas n'importe lequel, voyez un peu", ici on ne sait pas, derrière le mythe il y a encore un mythe, un mur de fantasmes ridicules et puériles comme plus personne n'en imagine depuis longtemps. Le fantasme primaire, c'est aimer des nénés plutôt que des charismes, des attitudes plutôt que des intelligences, c'est tout simplement être con et évoluer dans une réalité appauvrie parce que notre imagination l'est tout autant.
Ici Joann Sfar en profite, il annonce d'emblée "un conte de Joann Sfar", il est indulgent avec lui-même, parle d'un conte pour ne pas s'autoriser le terme de "film" et ainsi faire ce qu'il veut, c'est-à-dire n'importe quoi, "ce n'est pas vraisemblable ? ce n'est pas la réalité ? mais c'est un conte vous n'avez pas lu ?". Oui donc, "un conte", non pas comme l'affirmation d'une créativité qui déborde mais celle d'une flemme qui s'avance masquée. Vraisemblablement ce qui est censé fonder le film en tant que conte serait l'usage aussi inutile que faussement audacieux d'une marionnette dégueulasse qui, en même temps qu'elle se doit de poétiser la vie de l'artiste, intellectualise l'ensemble en se proposant comme l'incarnation de la mauvaise conscience de l'homme et qui expliquerait de nombreux choix décisifs de sa vie.
On ne sent aucune maladresse, aucun raté : tout ce qui veut être montré est très bien montré et ça n'a absolument aucun intérêt. On prend les grands moments people de la vie d'un homme, on réactualise ça avec les people actuels, des jeunes gens beaux et talentueux, on donne précisément au spectateur ce qu'il demande et ce qu'il connaît déjà en proposant une biographie du point de vue des conquêtes: elles y passent toutes et on les attend les unes après les autres : la brune, la blonde, la fluette, l'asiatique. D'ailleurs on ne comprend pas très bien comment l'on passe d'une ressemblance et d'un mimétisme obsessionnels du personnage incarné (Casta/Bardot) à la simple négligence de toute espèce de ressemblance du personnage en question. C'est un va-et-vient entre cette perversité de la ressemblance façon Musée Grévin et les petits caprices de réal qui considère qu'Anna Mouglalis est très bien comme elle est, qu'à défaut de son physique, son charisme correspond à celui de Juliette Gréco, et que Philippe Katerine mon pote fera très bien le Boris Vian, de toute façon qui sait à quoi ce mec ressemblait ?
Le simili-respect tente de dissimuler comme il peut la morgue du réalisateur, son ego hypertrophié, on a jamais vu rien d'aussi pire que ce mépris s'avançant sous les traits d'une pseudo vénération qui croit avoir fait ses preuves : une BD et maintenant un film sur le zigue. Et s'il faut remercier quelqu'un, ce sera les costumières, coiffeuses et maquilleuses qui auront été à l'origine de nos seuls petits frissons de spectateur qui ne sait plus s'il est pris dans une fiction ou une performance et qui allant de l'un à l'autre ne sait jamais où il se trouve, n'est jamais happé mais toujours en dehors du film. Quêter la ressemblance physique et comportementale des personnalités incarnées à l'écran c'est toujours être pris dans une tension : on tente d'être fidèle à une réalité pour faire oublier que c'est un film, que ce sont des acteurs, on tente de coller du mieux possible à ce qui s'est réellement passé, et d'un autre côté plus la fidélité est respectée plus le spectateur, impressionné, n'arrive pas à l'oublier.
Et si à chaque femme correspond sa chanson (autre petite joie du film mais lui préexistant évidemment) à aucun moment il est question d'assister sobrement, insensiblement et étape par étape à la naissance d'un mythe national. Tout y est démonstratif, les jeux sont faits et le film n'est là que comme simple et obséquieuse reconstitution où l'acteur inclut dans son jeu une sorte de conscience rétrospective de l'importance de la personnalité incarnée et de la scène jouée. Ainsi, et comme tout mauvais biopic, il n'y a jamais la place pour l'innocence du moment présent, qui s'improvise et se révèle simultanément aux yeux du spectateur comme des personnages, tout y est parasité d'arrière-pensées, tout se fait dans la connaissance de ce qui va suivre. C'est un film hideux, méprisant et méprisable, et l'attitude gainsbourienne par excellence voudrait que l'on ne place aucun espoir de décryptage du mythe dans ce film puisque de ce point de vue on se contrefout totalement de Gainsbourg, et que si mythologie il y a, elle ne réside que -comme toujours- dans une seule et unique chose : l'oeuvre de l'homme.