dimanche 23 novembre 2008
Quatre nuits avec Anna - Jerzy Skolimowski
D'abord rôder autour de chez elle et n'apprécier que ce qu'elle donne à voir par la fenêtre : des seins opulents, des sous-vêtements qui sèchent, une chaleur féminine à laquelle l'Homme donnerait tout pour y assister, y participer. Un jour, il passe un bras par la fenêtre et saisit le pot de miel servant désormais de sucrier. Il achète le même miel, le vide, y glisse un mélange de somnifères appartenant à sa grand-mère morte pendant le film et de sucre qu'il va ensuite placer à la place de l'ancien. Comme il est méticuleux il fait en sorte que le sucre soit au même niveau que l'ancien dans le pot, le travail est bien fait, d'une précision effrayante.
Chaque soir il s'assure que la Femme prenne bien sa tasse de thé sucré, quand elle dort il pénètre dans la chambre et trouve à s'occuper par de petites attentions désintéressées, d'une générosité à couper le souffle : recoudre le bouton branlant de sa chemise, lui finir le vernis des ongles de pieds, faire la vaisselle le soir de son anniversaire, lui glisser une bague entre les doigts achetée avec son dernier salaire. Chaque soir c'est l'Homme qui dit à la Femme "je veillerai sur toi à condition que tu boives ton thé", et elle le boit et chaque soir il entreprend de construire un peu plus une intimité qui s'évapore avec le jour. La maison d'Anna est petite, la pièce est chaleureuse, d'une décoration de mauvais goût qui rendrait crédible l'histoire, à l'opposé de la grotte négligée dans laquelle notre héros passe ses journées, mais y a-t-il réellement une importance à tenir sa maison quand on estime vivre chez sa voisine.
Au final la femme pardonne parce qu'elle comprend le désir que son corps, son intimité et sa solitude peuvent susciter. Son regard est sans animosité mais elle rend la bague et promet de ne plus jamais revenir, la fin est brutale pour le spectateur autant que pour notre héros.
C'est à cheval entre l'intimité clair-obscur d'une chambre et les paysages ravagés et au ciel trop blanc d'un village polonais que se déroule "Quatre nuits chez Anna", c'est au MK2 Hautefeuille que vous pouvez encore le voir.
mercredi 19 novembre 2008
couleur soupe au potiron
The mysterious production of eggs est sorti en 2004.
J'allais tout les dimanches soirs à la Fnac des Champs-Elysées pour écouter la première chanson de l'album qui est longtemps resté sur les bornes d'écoute et puis il a bien fallu que je me résolve à l'acheter, 18€. J'ai beaucoup de souvenirs avec cet album, je me souviens d'avoir attendu très très tôt devant la Cigale le jour du concert, un mec était venu me demander ce qui se jouait ce soir, ensuite il m'a demandé mon âge, j'ai dit "13 ans", il m'a sourit, il est parti.
J'étais seule, je portais un pantalon en velours marron et une chemise en mousseline de soie, mes lunettes toutes rondes à cause du soleil, j'avais un look bizarre mais je ne l'étais pas spécialement.
La fosse avait été recouverte de sièges et Andrew Bird jouait du violon, il avait annoncé son titre "a nervous tic motion of the head to the left " en français et dont la traduction m'échappe aujourd'hui, il avait aussi repris une chanson de Dominique A.
Ma mère était venue me chercher et je n'avais pas d'argent pour m'acheter le t-shirt, elle ne voulait pas m'avancer, prétextant que je ne savais pas gérer mon argent et que ça m'apprendra. Dur.
Je me souviens aussi d'avoir attendu dans la voiture devant un Buffalo Grill en écoutant Masterfade et en regardant des arbres défeuillés. Je n'ai jamais ressenti le besoin d'écouter un autre album d'Andrew Bird, "The mysterious production of eggs" est la chose la plus belle qui soit, un album que j'aime comme une personne et qui me rappelle cette période si spéciale de mes 13-15 ans ou j'ai le sentiment d'un désert de solitude parsemé ça et là de quelques albums et de quelques livres, Andrew Bird est là avec sa pochette bizarre, incompréhensible, un peu benête, couleur soupe au potiron, il est avec le premier album des Clap Your Hands Say Yeah mon album à la pochette orange préféré. Je ne pense pas que cet album s'écoute à un autre moment qu'en automne ou alors si mais ce serait ne pas tout comprendre de sa musique. Cet album n'est compréhensible qu'avec le froid et ce n'est pas bien compliqué de se laisser bouleverser par ses mélodies audacieuses et sa joie simple en carton pâte. Le lecteur de ce blog ne saurait y échapper.
Andrew Bird - Sovay
Andrew Bird - The nervous tic motion of the head to the left
Andrew Bird - Masterfade
samedi 15 novembre 2008
toutes les familles sont psychotiques
La grande soeur passe ses journées dans le jardin à écouter du métal en maillot de bain et en grosses bottes, on dirait Lara Croft, elle a toujours les cheveux humides, elle prend sa douche avec son petit frère avec ce manque de pudeur entre eux qui caractérise les familles plus liées que la nôtre, j'ai rarement vu une actrice aussi belle.
La petite soeur complexée avec des pulls drôlement trop petits pour elles et aux motifs d'un autre monde, surdouée, sosie féminin de l'ado dans Little Miss Sunshine,
La mère qui même si elle habite au centre de nulle part trouve à s'habiller comme sur les podiums, ses chemises de nuit, ses boucles miel plantées sur la tête, son souvenir me laisse un goût sucré en bouche.
Le petit garçon, noyau de la famille et qui me rappelle Emile à ses heures les plus intrépides,
Le père, épais, barraqué, classe, travailleur, protecteur, l'attitude rock'n'roll comme on peut l'envisager en 2008.
Première partie : le film se passe au milieu de nulle part, deuxième partie : il suffit de rouvrir une route pour qu'on localise la famille et qu'elle perde sa liberté, ses privilèges, son autarcie, ce n'est plus qu'une maison qui défile devant les yeux du conducteur, dézoomage, on est regardé de l'extérieur, on est vu comme pas à notre place là où on s'est toujours senti à notre place, mais il est hors de question de partir quand "on est bien ici". D'abord rapproché les objets du jardin près de la maison, et puis ne pas faire jouer le petit trop loin, et insensiblement finir par se claquemurer dans la maison.
La mère pète un cable à cause du bruit et les deux gosses coincés de l'autre côté de l'autoroute flippent pour leur santé en mordant dans des pains au lait préalablement défoncés par les voitures, la plus grande se fait klaxonnée par les camionneurs, le père se tient là, robuste, il rythme les journées, permet à la famille de ne pas trop se perdre dans son isolement, il lui ramène des nouvelles du monde sous forme de cartons remplis de provisions, des denrées qui viennent de chez les hommes. Il y a quand même la radio qui tisse un dernier fil entre la famille et le monde, la télé, parfois, dont on ne retient que sa lumière bleue sur les visages de la famille, c'est d'abord ça la télé.
Pour le spectateur les échelles de valeurs s'inversent : le bien-être de la famille importe plus que l'intérêt général. Entre l'autoroute et les scènes familiales il faudra choisir.
Les grandes forces du film : le charisme américain des acteurs, les scènes de salle de bain, le spectateur qui passe du bien-être Candia à la folie douce. Quelque chose comme le meilleur film français que j'ai pu voir depuis le début de l'année.
mercredi 5 novembre 2008
Paris, Texas - Wim Wenders
Au début je croyais à un film qui partait de Paris pour arriver au Texas, quand j'ai vu que le film commençait au Texas, ou disons plutôt dans un endroit qui ne pouvait être Paris (je connais un peu cette ville et je sais qu'il n'y a pas de désert) je me suis dit "ah, tiens, mais, peut-être que "Paris, Texas" sonnait mieux que "Texas, Paris", ce qui est le cas, mais on se rend vite compte que pas une seule fois il n'est question de la capitale et que le titre doit être pris au sens de la ville de Paris au Texas, je pense que c'était évident mais à mes yeux ça ne l'était PAS.
Je crois que j'adore Wim Wenders, suffit de jeter un oeil aux Ailes du désir pour réaliser que ce mec a tout compris à la vie, au cinéma, et au cinéma dans la vie et à la vie dans le cinéma et à comment on fabrique de l'émotion à partir de casting toujours nickel et d'une caméra. Esthétiquement c'est parfait : on a tendance à penser qu'un film aux belles images sera plutôt pauvre en dialogues, contemplatif, et que toute l'énergie du réalisateur se focalisera sur l'image, Wim Wenders, c'est le mec qui dit : ça va beaucoup parler mais ce sera quand même magnifique et ça ne compromettra pas pour autant le bon déroulement de l'histoire. Rien que les affiches, enfin, tout le monde a plus ou moins en tête l'affiche des Ailes du désir, peut-être moins celle de Paris, Texas. Il est question d'une femme habillée en rouge, une superbe nana, blonde cinéma, magnifique, qui n'a rien à voir avec le titre et qui apparaît très à la fin du film, cette image me hantait, à chaque fois que j'allais au Virgin je croisais le dvd, je croisais cette image, un monstre de fantasmes, un bac à sables pour l'imagination qui ne pouvait s'empêcher de construire des montagnes sur du rien, sur trois éléments : Paris, Texas, cette fille, c'était trop.
Un film de Wenders dure 2 heures, il est convenu de prendre ses aises, d'être bien installé, à la limite ce serait pas mal de le chopper au cinéma, je donnerai tout pour "Les Ailes du désir" au cinéma, la semaine dernière j'ai vu qu'il passait sur Paris "Paris, Texas" avec un orchestre en début de film, tout ça pour 12€, le prix du dvd. Bref.
C'est l'histoire d'un homme échoué dans un bar en plein désert, dans son portefeuille un nom avec un numéro, l'homme qui l'a retrouvé appelle ce numéro et tombe sur son frère. L'homme échoué avait disparu depuis 4 ans, il a un fils qui habite maintenant avec son frère et qui l'appelle papa, il a une femme disparue aussi. Le film est la réhabilitation de cet homme au sein de sa vie, il faut tout réapprendre, réapprendre à manger, à parler, à dormir, réapprendre à avoir des besoins lui qui n'en a plus, réapprendre à se souvenir, redevenir cet homme-frère et cet homme-père, réapprendre la tendresse et l'amour paternel, se réapproprier son fils, retrouver sa femme et puis se rendre compte que 4 ans passés tout seul auront eu raison de soi, j'aime cette femme et ce garçon mais que je ne veux pas me mêler à tout ça, je ne tiens pas à m'attacher, tout ça est beaucoup trop pour moi, un homme comme moi (et je me connais) ne mérite pas autant, est étranger à tout ça. Alors, sans me retourner, je prends ma voiture et je sillonne les routes, je suis un brave gars.
A la façon des Ailes du désir, le parcours de l'homme échoué est semblable à celui de l'ange, et pour Wenders c'est toujours une bonne occasion de revenir sur ces petites choses et situations de la vie que le cinéma et la littérature ne cessent de glorifier, dans les deux films l'apprentissage de la vie n'allait pas sans l'apprentissage du bonheur, la douleur ne peut se faire que dans la solitude, hors de la société. L'ange finissait par éprouver le désir d'être humain : Wenders voulait nous faire voir la vie des hommes vue par un autre regard tout aussi conscient et intelligent que celui de l'homme mais qui ne serait pas le sien : ce sera l'ange. Nous devenions ces anges qui regardaient ces hommes sans pouvoir les comprendre ni intervenir, ces anges qui demandaient à avoir des sens et des sentiments. Ce qui en résultait ce que l'homme avait de la chance et ne pouvait s'en rendre compte, Wenders nous offrait ce regard extérieur comme la prise de conscience de cette chance.
Dans les Ailes du désir, l'apprentissage de la vie/du bonheur donnait cette scène à pleurer où l'ange découvre le froid, le sang et le café, ici dans Paris, Texas cela prend la forme d'une vache qui rit qu'on mange à l'arrière de sa voiture avec son fils. Dans les deux cas les deux personnages intégraient la vie tout en gardant leur innocence, leur bonté, une certaine pureté, ils arrivaient à vivre sans pour autant finir comme des brutes blasées, sans rien perdre de leur altruisme et de leur curiosité, gardant cet émerveillement qui en temps normal quitte le corps adulte, et à l'heure où je vous parle on ne sait toujours pas qui sera le 44ème président des Etats-Unis, damn it.
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