lundi 25 janvier 2010

La terre de la folie - Luc Moullet


C'est Luc Moullet, audacieux et intello dans son art, débile léger en apparence. De ces artistes qui nous font nous confronter à l'insondable dualité de l'homme artiste: moi social et moi créateur, tout en nous rappelant à notre devoir de spectateur qui consiste à ne jamais prêter attention à ce premier, ou du moins à le questionner à partir de ce deuxième. L'homme en tant que moi social et dans toutes les basses curiosités qu'il suscite ne nous intéresse pas, et s'il intervient il n'est qu'un prétexte à autre chose. La salle de cinéma est pareille à une salle de classe où les professeurs, placés derrière l'écran comme derrière un bureau, tiennent à ce que l'homme et la fonction soient dissociés.
Si Luc Moullet fait de bons films alors il n'y a pas a chercher à résoudre la contradiction air benêt/bons films, tout le monde sait que l'individu ne se trouve jamais là où on aimerait facilement le trouver (dans l'air benêt). Pour se révéler aux autres il n'y pas de raccourcis, seulement du travail (les bons films).

On ne sait pas trop ce qu'on vient chercher quand on décide de demander une place pour La terre de la folie, on y va soit parce qu'on aime bien Luc Moullet soit parce qu'on en a lu une bonne critique, on y va pour tout sauf pour le cinéma et les histoires qu'il nous chuchote; c'est ce qu'on appelle le documentaire. Il prend forme au sein même d'une réalité imparfaite et dont les faits sociaux sont à prendre et à déchiffrer isolément et méthodiquement: un documentaire traite d'un fait social, et c'est peut-être cette vue partielle et dépendante de son sujet qui nous rebute, nous qui préférons le monde total et autonome qu'offre à voir la fiction.

Il y a cette zone aux limites circonscrites arbitrairement par Luc Moullet et dont il présume qu'elle est frappée plus que les autres par diverses formes de folie, il ne reste plus qu'à le prouver. On est donc partagé entre le désir d'en apprendre : c'est un documentaire, et le désir d'en rire: c'est Luc Moullet.
Les preuves servant à accréditer la thèse sont bancales et manque de cette rigueur qu'exige tout documentaire. La bienveillance du spectateur ne cesse de les contester, de s'insinuer entre les brèches, il aime à se montrer tolérant et fait montre d'incompréhension envers Luc Moullet: pourquoi généraliser à un petit village la folie furieuse de quelques uns ? Comment en arrive-t-il à faire le contraire de ce que se doit de montrer l'artiste ? C'est-à-dire toute l'ampleur et la richesse d'existences singulières, je crois que l'artiste est celui qui nous sensibilise au caractère précieux de chaque existence, là où tout autour de nous permet d'en douter car tout s'adresse au collectif, jamais à l'individu. C'est précisément ce que Luc Moullet ne fait pas en adoptant un point de vue grossier, adoptant la mauvaise foi par flemme d'approfondir, parlant de crime comme truc Ondelatte en parlerait: par pure soif de morbidité et par désir d'incompréhension, "mon point de vue est la norme et je ne comprends pas".

Le documentaire tend laborieusement à remplir sa fonction informative et ne s'aère que lorsque Luc Moullet s'adresse avec sa déroutante et tendre gaucherie à la caméra: se perçoit un ardent désir de "faire bien" les choses (il s'excuse à plusieurs reprises) qui l'amène à une sincérité brute, de celle des enfants qui en disent trop mais évacuent dans un même mouvement des boules pures et libératrices de vérité "je ne sais pas pourquoi je parle de ça (d'un ancêtre fou doublé d'un criminel), peut-être pour m'avantager." Son regard est d'une pure beauté, limpide et vulnérable, à la fois aux bords des larmes comme venant tout juste les sécher.

Un documentaire est toujours trop long après une heure et quelques longueurs s'en font ressentir. La séduction des premiers contacts fait place à une austère atmosphère de sérieux, Luc Moullet présumant que chacun est après une heure de film, assez concerné pour être concentré, mais le spectateur tient à ses arguments et à son indulgence et par la répétition des affaires criminelles et de leur description c'est un "c'est bon on a compris" qu'oppose le spectateur à tout ce que peut bien lui montrer Luc Moullet.
Mais si l'idée vous vient de partir avant la fin, c'est que vous ratez un de ces films qui s'arme de sens avec la dernière séquence.
2,75/5

dimanche 24 janvier 2010

7 ans de réflexion - Billy Wilder (1955)


Le cinéma permet ce genre de situation, où le personnage choisit de se sacrifier entièrement à ce qu'il estime être son devoir même si ce devoir est une pure construction arbitraire, c'est quand même bien de se fixer un chemin et de s'y tenir. Il n'y a aucun méchant, aucune forme de malveillance nulle part, on avance sûrement vers un progrès, celui d'un personnage tendrement paumé et paranoïaque et qui rencontre la douceur incarnée (Marilyn Monroe), et qui finit par comprendre des choses grâce à elle mais à son insu.
Sa solitude est immense est le choix de le faire littéralement parler tout seul, de lui faire tenir le rôle de la voix-off au sein même de son jeu suscite tendresse et tristesse. C'est un homme comme beaucoup d'autres, "à côté" et "en dehors", de tout ce qu'il vit mais qui y est arrivé par ses propres moyens comme on rate une recette de cuisine tout en ayant précisément fait ce qui y était indiqué, et doit en sortir de la même façon. Alors au lieu de fuir et de prévisiblement partir avec la Femme, il préfère, comme dans Stromboli (même si la fin de ce film est ouverte j'estime que c'est la bonne) réinvestir sa vie telle quelle, et changer ses désirs plutôt que l'ordre du monde.
5/5

Les Occupés sont