jeudi 14 février 2008

Le cas Pita Lisme


NO PASARAN




Bonjour, je suis une prosopopée du Dr. Freud. Je vous confie aujourd'hui le témoignage d'une des patientes que j'ai eu à étudier. Je vous prie de ne pas la juger trop sévèrement, et gare au contenu latent...


notre prof d'histoire nous faisait un beau discours sur le capitalisme l'autre jour
si beau, sans déc, que j'aurais voulu l'enregistrer et en faire quelque chose
je ne sais pas si elle parviendrait à le redire avec autant de passion que devant ces yeux ébahis d'élèves fraîchement réveillés qui ne se posent pas particulièrement de questions et qui sont prêts à admirer quiconque pourrait leur en poser ou même leur fournir des réponses
oui, nous faisons tous partie du réseau capitaliste
il ne peut pas y avoir un monde qui ne serait pas capitaliste parce que simplement les hommes ne pensent qu'à eux, et que la société où avant de penser à soi on penserait à l'autre est purement utopique
mais n'accélérons tout de même pas le processus, pardi
"il y a plusieurs degrés de capitalisme, et le pire est celui qui est sauvage, mais il y en a un plus positif"
ne faisons pas de la publicité gratuite pour des produits issus d'un capitalisme sauvage, non, ne cautionnons pas cela.
il y a des gens qui paient pour faire de la publicité gratuite à starbucks. non, ce n'est pas une blague. il y a des gens qui ACHETENT des mugs starbucks. et là je pense : pardi, le client paie pour faire de la pub, mais dans quel monde vit-on ?
ah, starbucks.
la déshumanisation proprette.
oh, je ne suis pas allée à new-york ou londres ou hong-kong ou tokyo avant l'apparition de starbucks, parce que je n'étais pas née. mais j'ai quand même le sentiment, quand je les vois fourrés à chaque coin de rue, qu'ils remplacent quelque chose.
j'ai peur pour nos braves cafés parisiens et nos serveurs insolents et nos patrons de mauvaise humeur.
starbucks, c'est le monde du futur. le café propret. le "café light". quelle blague, sans blague.
je peux vous faire un demi-million dans l'heure. j'ai l'idée du siècle. écoutez un peu : des chips qui feraient maigrir. le voilà le monde du futur. des cigarettes qui vous réconcilient avec votre santé. 100% naturel. de la junk food bio. des usines écolo.
au starbucks, les serveurs ne sont pas humains. ils sont un maillon de la chaîne. ils sont tellement distants du noyau que l'on ne peut rien leur reprocher. comme une femme de ménage entre les deux portes d'entrée d'une banque. méthodiquement, ils inscrivent les prix qui leur ont été indiqués, et livrent les produits qu'on leur demande. aucune conversation ne peut s'établir. quand j'étais petite, on m'offrait des grenadines. je m'en souviens encore, je me souviens encore de quel café il s'agit. un bon tour, marketingement parlant. chez starbucks, on n'offre rien à l'individu parce qu'il est individu. parfois, il y a bien des offres promotionnelles, mais tout le monde peut en bénéficier. cela est plus juste. oui : un monde plus juste, plus aseptisé, plus propret. mais l'individu n'est alors plus un individu. je prends réellement peur face à cette organisation méthodique et inhumaine. il faudrait ouvrir une réflexion sur l'inégalité : est-ce que réellement une société totalement égale serait idéale ? je ne pense pas. l'inégalité est peut-être humaine. évidemment, je suis pour une réduction des inégalités, la question n'est même pas là, je ne devrais pas avoir à m'en justifier, pourquoi me regardez-vous ainsi ? je parlais d'une utopie, un monde sans inégalités.
je comprends un certain conservatisme. je comprendrais que l'on m'en accuse.

aujourd'hui est un jour important. quatorze février deux mille huit. N. et J. veulent boire un café et "discuter". J. propose le starbucks. honnêtement, personne n'est contre, et surtout pas moi. je pense déjà à mon mango frappé. c'est que je suis plutôt une habituée, j'y suis allée quelques fois, surtout à londres, et vraiment, ce mango frappé me fait trop craquer. devant la carte, par habitude, je prends un mango frappé, qui, putain, coûte quatre euros soixante-dix. sous la barre des cinq euros, je me fais tout de même la remarque que c'est plus cher qu'une formule pâtes dessert boisson au squab mais enfin. le robot encaisseur me propose "de la crème", je dis, oh, pourquoi pas, allez. EVIDEMMENT que je sais que TOUT a un prix. mais un instant, j'espère me tromper. après tout, le sucre est bien (encore) gratuit. les serviettes en papier également. pourquoi pas un peu de crème ? et bien sûr, le supplément est de cinquante centimes. cette formulation malsaine : DE la crème, elle m'a dit, pas "un supplément de" crème. ça me fait penser à cette petite étoile en coin de phrase, qui se réfère à une minuscule note au dos du contrat : *Ce contrat ne vaut rien juridiquement. cinq euros vingt, elle m'annonce, et là, ça dépasse les cinq euros. je me rappelle qu'à l'instant je voulais aller au cinéma, voir une séquence d'images de deux heures qui aurait pu chambouler mon existence... au lieu de ça, et pour le même prix, j'obtiens le droit de boire un mango frappé qui va me faire grossir et me durer une minute : su-per. EVIDEMMENT la caisse est en bas et le paradis des losers est en haut, et il n'y a pas de place pour nous. bien pensé, leur machin, aucun détail n'est négligé : on achète sans savoir s'il y a de la place, et puis on se rend compte qu'il n'y en a pas. la petite "discussion" que nous avions imaginée se transforme en séance de torture, dehors, par un agréable quatre degrés, sur une table dégueulasse, entre une station de métro, un trottoir vide, un plan du sixième arrondissement et une route. chouette. chouette, CHOUETTE. putain, c'est comme si j'avais le syndrome de la tourette, meuf, j'arrive pas à m'arrêter, merde, ça sort comme tout seul, chier : *******************

1 commentaire:

Juliette a dit…

La prochaine fois tu prendras un Moccha caramel et tu ne feras pas tant d'histoire.

Signé J.
(qui regrette les majuscules)

Les Occupés sont