jeudi 4 février 2010

Ne change rien - Pedro Costa

Je ne pense pas que l'ennui soit un bon critère pour juger d'un film, l'ennui c'est d'abord l'impatience du spectateur, celui qui ne devrait pas être là ou qui ne veut plus y être, l'opacité de son regard qu'il prend pour l'opacité de l'oeuvre. Il faudrait se mettre d'accord sur une typologie de l'ennui, distinguer celle qui provient de l'exigence de l'oeuvre face à notre manque enfantin de concentration, et puis l'ennui comme, malgré l'indulgence et l'effort de compréhension, absence totale de sensations et d'intérêt pour une oeuvre, bref, il est toujours question de chercher à connaître de quel côté de la salle se situe le problème.

Le documentaire de Pedro Costa est d'un noir et blanc charbonneux et de cet ennui sec qui aiguise notre attention. Quelque chose se passe donc à l'usure, une poésie que le spectateur se sent obligé d'extirper de l'image faute d'être pris par la main. Il prend son plaisir dans le dénuement et l'abandon le plus total, un bout de visage fatigué qu'on daigne lui montrer, un peu de fumée de cigarette, une mélodie qui se répète à l'infini et qui d'abord étrangère se fait familière, lancinante, obsédante; il devient alors autonome dans sa prise de plaisir. Il voit aussi avec quelle dureté des personnes tentent d'extraire du néant une chanson, comment ils se font magiquement un devoir d'y parvenir, comment il créer la nécessité de la création avant de créer celle-ci, et comment le matériel autour et la concentration de chacun travaillent à cette volonté d'être pris au sérieux; ces histoires de création sont des histoires d'adultes. Ca cahote, c'est harassant, c'est une pente à monter et qui fait place au plaisir fluide d'une chanson pop parfaite interprétée en live. C'est comme ci le processus créatif n'avait jamais consisté en la création d'une chose incertaine, peu sûre de ses effets et qui devrait faire ses preuves, pour l'artiste il s'agit plutôt d'une archéologie méticuleuse, obstinée, d'une oeuvre déjà là, d'un résultat présent à l'esprit et qu'il n'y aurait plus qu'à restituer par la fouille, la rigueur, le travail, dans le monde sensible. On ne créer pas on ne fait que retrouver, et c'est dans ce service rendu par l'artiste que se fonde leur modestie fondamentale, avant toute forme de prétention qu'ils y ajouteraient.

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