Drôles d'événements que les anniversaires. Par principe, je dirais qu'ils ne sont que des conventions, dans lesquelles à tout prix il faudrait ne pas sombrer. Mais, que ce soit par opportunisme ou par sagesse, quand on m'offre de jouer le jeu, je l'accepte, et je fais avec. Dimanche il y aura un déjeuner, et je repousse d'une année ou deux l'idée qu'un anniversaire est insignifiant, parce que j'ai envie d'en profiter tant que ce que j'appelle mes "principes" ne me préoccupe pas encore entièrement, et je me dis qu'une fois que je serai lâchée dans la nature, seule face à mes choix, je m'appliquerai à ne plus marquer tant cette coutume de célébrer le jour de ma naissance. En attendant, un autre principe me dicte de ne pas m'épancher dans la gratuité des actes, et de me faire plaisir tant que je le peux, et il me semble qu'il serait gratuit de refuser de voir ma famille, et que cela ne me ferait pas plaisir que personne ne pense à moi aujourd'hui. D'ailleurs, "profitons tant que l'on peut profiter", et pas au sens où on l'entend couramment, celui qui reviendrait à dire "profite de ton âge parce que bientôt tu ne pourras plus faire ce que tu fais là" : non, plutôt, "profite de ton ignorance parce que bientôt tu en sauras trop pour trouver le bonheur en toute chose". Je me suis déjà ôté tout plaisir de faire la fête par ma désoeuvrante lucidité sur le sujet, probablement accrue par un certain recul social ; alors l'anniversaire y passera plus tard. Et voilà que je parle avec ma conscience, et que chaque mot tend à me déculpabiliser de quelque chose dont personne ne me tient coupable, en-dehors de moi-même. Le poison des principes s'étend dans mon corps. Un moment, je me demande si tout cela n'est pas ridicule, d'autant plus que je n'avais jamais réellement réfléchi au rôle d'un anniversaire, et que, si culpabilité il y a, elle n'est due qu'à un pressentiment. Les principes détruisent et structurent. Je comprends ça lorsque je regarde mon père, car je le sais à la fois satisfait et insatisfait, mais au moins sûr de n'être aucun des deux. Il a structuré sa pensée sur un certain nombre d'idées évolutives, et cela lui coûte parfois, parce qu'en n'écoutant que la part d'humanité qu'il a en lui, il ne suivrait peut-être pas ses principes. Mais le propre de l'homme est justement de structurer ses pensées pour aller dans un sens, et je ne pourrais pas vivre sans cette ligne droite sans direction fixe, parce que simplement, je n'aurais pas été homme, je n'aurais pas exploité ce qui m'avait été donné, alors même que je me plains d'avoir trop de limites. Et je préfère me détruire par des principes que d'être misérable, et de me laisser aller. Je préfère manger des restes pour survivre que de me laisser mourir de faim parce que je me sais mourrante. Et j'ai l'espoir que dans ces restes demeure un miraculeux remède contre ma maladie. Mais cet espoir je le pense d'autre part hypocrisie envers moi-même, et un principe me dicte de ne pas l'être, et de ne me fier qu'à l'instant, sans imaginer des possibilités inexistantes. Je suis donc en constante contradiction. Mon travail est de trouver un moyen de superposer ces principes pour éviter une rencontre conflictuelle ; et alors, peut-être, peut-on dire qu'il n'y a pas de principe donné de façon générale. Le principe des principes, celui que paradoxalement il faudrait ériger de façon universelle et générale, serait peut-être de ne pas appliquer bêtement ses principes, et de les adapter à chaque situation, pour être un minimum flexible. Les principes ne m'apparaissent donc plus ici que comme des moyens pour maintenir la route, celle qu'il faut à chaque instant contrôler pour ne pas trop s'en éloigner, et rester à la fois ouvert à toute évolution mais fidèle à soi.
Maintenant que le poids de la culpabilité s'est évaporé, et que je peux parler librement, dans la limite tout de même des retombées climatiques de cette évaporation, car j'aimerais autant éviter la pluie, je vais enfin arriver à mon but, qui me paraît désormais tellement insignifiant que j'ose à peine l'énoncer. Car toute cette réflexion a en réalité été déclenchée par une parole modeste au possible, et réellement tout ce qu'il y a de plus sincère. C'était au téléphone. Il faut que je décrive un minimum la situation pour que la phrase prenne un sens. Il se trouve que mon grand-père a depuis je ne me souviens plus combien de mois l'alzheimer. C'est un homme dont la vie s'est un peu échappée, parce qu'il s'est marié tôt et un peu par défaut, et qu'il a fait le même travail toute sa vie, et qu'il n'a jamais vraiment eu une grande passion pour les choses. Ce portrait est extrêmement schématique et encore plus mal renseigné, mais dans le cadre de mon anecdote, il se suffira. Ce manque de passion restreint évidemment les possibles sujets de discussion, et comme le sujet de discussion le plus praticable en famille est le souvenir et que sa mémoire lui fait défaut, cela peut provoquer un certain embarras. Ma grand-mère, de son côté, est une femme remarquable, mais autoritaire. Jamais émancipée, autodidacte, généreuse, un peu raciste sur les bords, elle doit maintenant s'occuper de son mari souffrant, tâche qu'elle prend à coeur, et que je la soupçonne d'apprécier. C'était donc au téléphone, et après que ma grand-mère m'a souhaité un bon anniversaire et dit quelques mots - car elle trouve toujours quelque chose à dire, que ce soit à propos d'un noir à la boulangerie qui n'avait même pas l'air si bête que ça ou à propos de prières pour que j'aie mon bac dans six mois - elle me passe mon grand-père, chose qui n'arrive que les jours d'anniversaire, lorsque ce qui importe est de prononcer une phrase magique et non pas d'élaborer une conversation intéressante. Ce qu'il fait : bon anniversaire. Et pour camoufler un peu la platitude de cette phrase, il l'amorce sur le ton d'une conversation qui pourrait durer. Puis un blanc. Derrière on entend ma grand-mère lui souffler ce qu'il doit dire, lui demander de conclure par un "à dimanche prochain" et de raccrocher le téléphone ; on la sent imposante, dans son rôle autoritaire et supérieur. Il s'accroche, et il dit, prévenant : "on a l'air un peu couillons comme ça, ha ha". Et il n'a pas qu'un peu raison.
vendredi 30 novembre 2007
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3 commentaires:
Pauvre Papy. Il mourra harcelé par ta grand-mère et entre ses deux derniers soupirs il pensera à la jolie brune qu'il avait croisée un jour alors que ta grand-mère était au rayon poisson du supermarché. Lorsque viendra le jour de l'enterrement elle prétextera une douleur trop grande pour être mise en contact avec celle d'autrui et elle passera le temps de la cérémonie et de l'ensevelissement devant TF1, un bol d'olives noires dénoyautées à la main.
C'est pas une vie.
Les grands-pères ont toujours le dernier mot, quelque soit leurs états. c'est peut être celà l'unique sagesse de l'âge.
bon anniversaire en tout cas.
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