mercredi 7 novembre 2007

Une journée (pas) comme les autres

J'ai toujours admiré les gens qui savaient rendre les histoires apparemment sans intérêt très intéressantes. Sur le moment l'illusion est à son comble et puis c'est quand on essaie de re-raconter cette histoire qu'on se rend compte de son manque de consistance. Parfois on peut ressentir la même chose en essayant de résumer un livre. Selon certains cas, on peut avoir été biaisé, car l'histoire n'avait effectivement aucun intérêt, ou bien on peut avoir eu une prise de conscience sous-jacente, et comprendre un détail simple qui prend alors une signification essentielle. Basés sur cette idée vous vous sentirez baisés quand mes débilités biaisées vous auront bien blasé.

Il y a un type comme ça qui traîne dans mes contacts MSN depuis environ trois ans, et on ne s'est jamais parlé. Non, c'est faux. Il y a mille types comme ça qui traînent dans mes contacts MSN, mais il n'y en a qu'un qui m'intéressait particulièrement. Il y a longtemps je croyais à l'image du couple parfait, et ce mec-là était un Roméo, et sa copine était une Juliette. Ils jouaient là-dessus. Un jour j'étais allée voir le spectacle de fin d'année de l'école de Nathalie, et les deux tourtereaux y avaient composé et interprété une chanson d'amour. Partout sur leur passage ils répandaient de magnifiques photos dignes de la propagande staliniste, visant à montrer combien ils étaient heureux tous les deux ensemble. Oui, vraiment, ce couple était parfait. Une fois, j'avais parlé à ce gars, ce Roméo, et il avait concerté sa copine, qui, jalouse, s'était faite inviter dans la conversation. J'étais alors devenue la spectatrice victime d'une affabulation, celle qui porte la chandelle qui tient le couple, celle qui renvoie son image au couple et par qui le processus d'amour interne à travers le regard externe est possible. Oui, j'ai joué le jeu un moment, comme ça, et ce n'était pas très équilibré : ils me faisaient un exposé de leur culture commune, travaillée et retravaillée, et j'écoutais en pensant que je n'y connaissais rien, parce qu'on me snobait. Mais j'y croyais, et j'ai cautionné cet amour fictif. Puis on m'a rejetée : pendant plus d'un an Roméo a dû bloquer sous la contrainte. Je m'accrochais à mon rêve : c'était ça l'amour : protéger ceux qu'on aime : j'étais dangereuse et machiavélique : qui ne pense pas ça de soi.
(...)
Ce qui devait arriver arriva. Deux ans plus tard, je recontacte le mec, ce Roméo des temps contemporains, et je lui demande ce qu'est devenu son couple parfait. Et il m'explique que c'est fini et qu'il a remplacé sa Juliette par une autre fille. Le mythe se casse, et je comprends tout, ou du moins, je comprends tout ce que j'ai envie de comprendre : celle qui m'apparaissait autrefois comme une sainte, allégorie même de la pureté, n'était pas moins qu'une pauvre fille, trop possessive, jalouse et insupportable, et qui vivait son couple à travers la représentation qu'elle arrivait à en donner aux autres ; une hypocrite en somme. Le mec s'est laissé englober dans cette bulle malsaine et restrictive que constitue le couple. Une fois l'histoire finie, il se sent soulagé. Mais il fallait le faire au moins une fois. Il racontera ça à ses petits enfants et ses petits enfants n'y entendront rien ; ils tomberont probablement eux aussi dans le même piège, et il fallait bien ça pour comprendre, parce que savoir n'est pas comprendre.
(...)
Roméo était tout de même resté un symbole, et puis, souvenons-nous-en, il m'avait fait péter sa culture dans un petit exposé de propagande du couple, alors j'avais une once d'estime pour lui ; en plus, physiquement, il n'avait pas l'air mal. C'était hier soir : j'engage la conversation, un petit "hello" de rien du tout, et puis il se trouve que lui-même est engageant, et puis on parle, d'abord de rien, puis on parle du fait de ne parler de rien, puis on se demande de quoi on pourrait parler à part rien, et on essaie, et ça ne marche pas. Et puis je pose cette question : est-ce que c'est sexy d'être snob ? Et tout s'engrange, je commence à dénigrer leur couple - et c'est dégueulasse - et il me dit qu'il est honteux alors j'amplifie la chose et il me confie que c'était horrible et je suis heureuse d'avoir la Confession d'un Roméo. J'ai vaincu le parfait, démontré par A + B que ça n'existait pas, et je suis soulagée de prouver ce que je comprenais sans y donner trop de crédit.
Puis le temps avance et on se rend compte qu'on a plein de choses en commun : c'est le premier mec sur terre qui connaît les paroles des films de Jacques Demy et je dois avouer que c'est un critère décisif dans le choix d'un Roméo. Il y a une chanson des Demoiselles de Rochefort, je l'aurais bien chantée à mon ancien petit copain pour le quitter, mais il m'aurait ri au nez. S'il avait connu les Demoiselles il aurait chanté avec moi.
Il est 3h03 quand il lance : "puisque tes vacances ont l'air d'une platitude à rendre jaloux la courbe de l'encéphalographe d'un mort, je supute que tu n'as rien de prévu demain dans l'apres midi ?" Rendez-vous pris. Il me regardait avec une expression partagée, et parfois il ne disait rien. Alors j'ai parlé, jusqu'à l'épuisement : Marcel Duchamp, Raymond Roussel, Oulipo, Howard Hughes, Gide, Sartre, tous y sont passés.

3 commentaires:

Murielle Joudet a dit…

han, tu vas sortir avec lui.

et si tu n'aimes pas dire "ex" dit "ancien petit copain".

Anonyme a dit…

D'accord !

BiFiBi a dit…

Ouais enfin pour l'avoir croisé il y a environ six mois de cela il a changé entre-temps ton Roméo ! Penninghen ça change son homme

Les Occupés sont