mercredi 3 septembre 2008

Night and day et Woman on the beach de Hong Sang Soo



Je ne connais rien du cinéma coréen -ni d'aucun cinéma d'ailleurs-, je veux dire, je vois les films, je les juge très sévèrement, le processus de visionnage s'arrête au moment où je sors de la salle mais avec l'expérience je constate que ça m'apporte quelque chose, quelque de chose de transparent et de tout petit et qui dépasse de loin la limite qui sépare la salle de cinéma de l'extérieur, le silence du bruit. Parfois ça fait écho à des choses que je vois dans ma propre vie, j'en garde des répliques, des comportements, des idées de tenues vestimentaires, à force ça s'entasse, le cinéma en prend autant à la vie que la vie en prend au cinéma et les grains de riz constituent un bol, un bol consistant, nourrissant, visible, des influences pour écrire, pour mieux vivre, quelque chose se débloque définitivement dans l'esprit.

Le cinéma coréen, j'aimerais le connaître, je ne demande que ça, mais ça voudrait dire acheter des DVD à 30€, courir les minuscules salles de cinéma plus petite que l'écran, et puis il y a les a priori qu'on se fait sur le cinéma du monde, juste parce qu'il n'est pas de France ni des Etats-Unis il se dote tout de suite d'une charge intellectuelle disproportionnée, je veux dire, les distributeurs sortent rarement le Brice de Nice coréen, ils exportent plutôt des trucs qui plairont au duo MK2-Cahier du cinéma.

J'ai voulu rencontrer Hong Sang Soo parce qu'en fait j'étais allé voir The Savage Eye et qu'au MK2 il y a toujours plein de petits prospectus des films à venir que je pioche et que je lis bien calée au fond du siège avec un petit cigare, nan je rigole on peut pas fumer dans les cinémas. Je veux dire, certains ont les pop-corn, d'autres les prospectus de consolation.

Hong Sang Soo a sorti deux films sur deux mois, c'était un peu la saga de l'été, il y en a un qui date de 2007, son avion a eu du retard et il n'a pu venir que maintenant, le 20 aout, celui-ci c'est "Woman on the beach", et puis il y a Night and Day, sorti en juillet, le premier dur 2h15, le deuxième 2h30, les affiches donnent extrêmement envie.

Night and Day
c'est les rendez-vous de Paris qui s'accouple avec le Signe du lion de Rohmer, l'histoire d'un peintre qui ne tient pas un semblant de pinceau pendant tout le film (il préfère les cigarettes) et qui se voit obligé de se réfugier à Paris parce qu'il a fumé un joint dans son pays et qu'il risque d'aller en prison. Il y laisse femme et appartement, j'aime bien les films qui se passent à Paris, c'est la seule grande ville que je connais un peu, quand on parle de Paris on parle un peu de moi, on se rapproche géographiquement de mon lieu de vie.

L'acteur est un gros nounours extraordinaire et un peu bougon, tiraillé par ses envies de peloter les coréennes qu'ils croisent d'ailleurs l'affiche résume très bien l'affaire, l'acteur dérouté, interloqué devant l'Origine du monde de Gustave Courbet. c'est très drôle parce que dans ce film on a comme l'impression que Paris n'est peuplé que de coréens, comme si chacun se bornait à voir ce qu'il voulait dans la rue, par exemple moi je sais que je ne vois que les kiosques à journaux et les hommes un peu vieux, le reste je l'ignore assez pour le faire disparaitre.

Hong Sang Soo rigole un peu de lui-même, tourne en dérision ces quelques tentatives de lyrisme comme au moment où il filme un petit bateau de papier qui navigue dans l'eau qui coule dans le caniveau, emportant un caca de chien avec lui avec en bande sonore de la musique classique. Comme chez Rohmer il y a une opposition entre deux environnements, ici la plage et la ville.
Paris, son personnage n'en sort pas (du moins jusqu'à la fin), on pourrait éternellement vivre dans cette ville, on pourrait même se laisser aller à un parisianisme bien gluant même quand on est pas parisien (mais qui l'est vraiment?) et si on veut voir un peu de sable on conduit jusqu'à Deauville, on y passe la journée et on revient.

Et puis il y a ses dialogues hallucinants : les acteurs commencent à raconter n'importe quoi, les dialogues sont incohérents comme si tu coupais et mélangeais les questions et les réponses d'une interview, ils sont ivres d'avoir trop mangé, d'avoir trop bu, dégouté d'avoir trop mangé, d'avoir trop bu, baignant dans des vapeurs de riz chaud et de thé, ils savent qu'ils ne sont pas en train d'écrire l'Histoire alors ils en profitent et font n'importe quoi emportant dans leur danse le réalisateur. Night and Day est un chef d'oeuvre d'optimisme avec des scènes guillerettes mais bouleversantes.

Woman on the beach

En marchant vers le cinéma un mec de la croix rouge plutôt mignon est venu me demander "je vous accompagne quelque part?" je lui ai dit en souriant "si vous voulez, au cinéma" en pointant le MK2, alors il m'a fait "ça prendra 17 secondes", je lui ai dit "PAR CONTRE, je suis mineure", il m'a répondu "ah ok alors je te laisse tranquille", me crachant son tutoiement à la gueule, passant du séducteur-prosélyte à celui d'animateur de centre aéré, ensuite deuxième péripéties : j'ai confondu la caisse avec le stand de pop-corn, la caisse changeant une fois sur deux d'emplacement, mais la fille qui tenait le stand a été plutôt gentille.

Le film,
déjà il y a l'effort à faire, celui que HSS à fait en venant filmer à Paris tu dois exécuter le même en acceptant de voir un film qui se déroule dans une station balnéaire coréenne. Ici les mêmes codes que pour Night and Day, un homme pour deux femmes, croire en l'idée qu'on est plus que les seuls sur terre, le microcosme que l'on se construit mentalement, l'illusion de la fidélité, le problème féminin, choisir entre la possession tranquille d'une seule où l'ivresse de toutes les autres, la nourriture et le saké, les jambes des filles, blanches et froides, la dualité de l'artiste, tiraillé par ces deux pôles, l'un profondément animal, colérique, obsessionnel, impulsif, et l'autre : sage, génial et créateur, plus insoupçonné, et puis ces scènes miraculeuses d'intelligence qui jaillissent du film comme elles le font au sein de nos propres existences tièdes.

Un artiste (réalisateur) qui décide de prendre un peu l'air pour finir son scénario, emportant avec lui son ami chef-décorateur et sa petite amie (là encore le malentendu "mais je ne suis pas ton amie", "faut-il coucher pour sortir ensemble?", "je t'ai embrassé mais ça ne veut rien dire"), et puis peu importe si les statuts ne sont pas très bien définis, personne n'appartient à personne, l'important est de s'accrocher à la personne qui nous plait peu importe si elle est libre ou non, les gestes sont urgents et désespérés. Il n'écrira pas une ligne de son scénario ayant toujours mieux à faire, jusqu'à qu'il soit bloqué par une jambe cassée qui l'obligera à le finir en une journée.

Comme pour Night and Day, on ne comprend pas tout des dialogues et j'ai eu pour réflexe de mettre ces scènes de bredouillages incohérents sur le compte de l'exotisme d'un pays et d'une culture que je ne connais pas, dans celui-ci comme dans Night and Day beaucoup de choses restent inexplicables comme si quelque chose de trop français dans nos esprits restait imperméable à certains phénomènes. Un peu en dessous de Night and Day mais un pur ovni rafraichissant pour le spectateur profane.

Woman on the beach est encore en salle.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Excellentes critiques! Vous êtes peut-être mineure, mais surdouée. La suite? Journaliste culturelle, critique cinématographique, auteur(e)? Vous irez loin...

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